Le bonheur, fin ultime de l’existence humaine, est très souvent réduit à la
satisfaction des désirs avides de l’homme. Aujourd’hui plus qu’hier, notamment
avec les prouesses scientifico-techniques, s’accroît de façon vertigineuse,
surtout en milieu juvénile, la course folle au profit et à l’argent, le désir
d’avoir, de posséder et d’accumuler des montagnes de biens matériels sous
prétexte d’assurer son confort et son bien-être. La société actuelle, basée sur
la production de masse et la consommation à outrance, se transforme en un
véritable marché d’illusion. Les sciences de la haute technologie mettent au
jour le jour sur le marché, des produits hautement sophistiqués, et qui font
rêver la jeunesse : le smartphone, l'android, l’ordinateur portatif, l’écran plasma,
une panoplie de jeux vidéo, whatsApp, facebook, etc.
Dans cet état symbiotique, où l’on ne sait plus exactement ce vers quoi on tend, la question de la valeur et du sens de l’existence humaine se pose avec acuité. Ceci dit, peut-on confier nos espoirs à la science et la technologie ? L’aisance matérielle constitue-t-elle une fin en soi ? En quoi consiste le vrai bonheur de l’homme ? A ce propos, le livre de l’Ecclésiaste peut servir de référence et de paradigme pour la jeunesse postmoderne en quête de sens ultime.
1. Un coup d’œil sur le livre de
l’Ecclésiaste (Qohélet)[1]
L’Ecclésiaste (traduction grecque de l’hébreu Qohélet « prédicateur
») est un livre de la Bible hébraïque, faisant partie des Ketouvim (les
Ecrits). L’auteur se présente en tant que Qohélet, fils de David, et
roi d’Israël à Jérusalem (Qo 1, 1). A une certaine époque, on l’a
identifié à Salomon ; mais par la suite, des études de critique historique
ont démenti cette opinion. « En portant attention au type d’hébreu
utilisé ainsi qu’aux thèmes abordés, les exégètes ont conclu que ce livre était
beaucoup plus tardif (environ IIIe siècle av. JC.), et son origine salomonienne
a été désavouée »[2]
note Michel Proulx. Ce qui est certain, c’est qu’il s’agit d’un
penseur juif se situant dans le grand courant de sagesse qui a marqué le peuple
de l’alliance et qui a laissé ses empreintes dans d’autres livres sapientiels (Proverbes,
Ben Sirac le sage, etc.).
En effet, Qohélet, demeurant marginal par rapport aux autres sages
d’Israël, n’hésite pas à prendre le contre-pied de leurs positions en
contestant à plusieurs reprises des croyances qui avaient valeur de dogme et de
tradition dans les milieux sapientiaux. Ses réflexions surgissent de son propre
vécu et se basent sur ce qu’il a lui-même observé chez lui et autour de lui.
Le livre de l’Ecclésiaste se présente ainsi comme le journal d’un homme en quête du sens de la vie. Etant donné qu’il est difficile voire impossible à l’homme d’éprouver le bonheur auquel il aspire, et que tout ce qu’il expérimente est passager, l’auteur, désabusé, s’interroge : la vie vaut-elle la peine d’être vécue ? Le livre se fixe ainsi pour but de « trouver des bribes de sens dans un monde où tout parait absurde et n’a pas de sens ».[3]
2. Ecclésiaste : le sage en quête du sens ultime de la vie
Rechercher le sens ultime de l’existence humaine signifie d’abord, pour
l’auteur du livre de l’Ecclésiaste (encore appelé Qohélet), ébranler les
faux-semblants et les illusions trompeuses auxquels les jeunes se trouvent
emprisonnés : le goût de grandeur conditionnés par l’appétit du pouvoir et de
l’avoir.
a. « Vanité des vanités (…), tout est vanité » (Qo 1, 2)
Y-a-t-il un bonheur solide et durable sur cette vie ? Assurément pas,
selon Qohélet ; puisque tout est éphémère, tout disparaît et s'évapore. La
vie ‘‘sous le soleil’’ est futile, insignifiante, sans but, vide de sens ;
et il n’y a rien de nouveau : « Ce qui fut, cela sera, ce qui
s’est fait se refera » (Qo 1, 9). La course au profit, l’accumulation
de l’argent et la soif des biens de ce monde (richesse, pouvoir, grandeur,
célébrité, etc.) ne satisfont pas à cause de l’inéluctabilité de la mort et
d’une vie tellement brève, couronnée de souffrance, de chagrin, d’injustices et
d’incertitudes. La vie de l’homme ressemble ainsi à une ombre qui passe :
« Comme il était sorti du sein de sa mère, tout nu, il s’en retournera, comme il était venu. De son travail il n’a rien retiré qui lui reste en main » (Qo 5, 14). Alors : « Quel profit trouve (donc) l’homme à toute la peine qu’il prend sous le soleil ? » (Qo 1, 3). S’interroge Qohélet.
Ce cri alarmant de l’auteur de l’Ecclésiaste devrait interpeler la jeunesse
postmoderne en crise de repères existentiels. Ce tableau sinistre donne une
leçon de détachement des biens terrestres et appelle à la modestie. Car, « aucun
travail et aucune richesse, si grande soit-elle, ne saurait combler l’être
humain (Qo 2, 11 ; 4, 8 ; 5, 9-11) ».[4]
En réalité, nul ne trouve vraiment d’apaisement et d’ataraxie en se jetant
dans un tourbillon de plaisirs accablants, qui causent au cœur une lancinante
tristesse. L’écrivain russe Alexandre Soljenitsyne, dans son discours du
Liechtenstein (16/09/1993), exposait en ces termes les limites du
progrès : « Rien n’exprime avec plus d’éloquence notre impuissance
mentale, notre désarroi intellectuel, que l’impossibilité actuelle d’envisager
la mort avec sérénité. Plus grand est notre bien-être, plus profonde l’angoisse
glacée de la mort qui habite l’homme ‘‘post’’ moderne ».[5]
Eh bien, L’existence humaine demeure une énigme sans solution durable, et
la mort « notre seule certitude ».[6]
Cependant, dans la mesure où pour Qohélet « le bonheur n’est pas une île de félicité à l’abri des misères de l’existence, comme le voudrait l’utopie infantile vendue par la publicité moderne »[7], ne peut-on pas dire qu’il nous invite à une célébration lucide de la vie ?
b. Le secret d’une vie heureuse
Face à l’insécurité causée par la menace constante de la mort, Qohélet
insiste sur l’importance de cette vie comme moment idéal de réalisation de soi.
Cette vie relative, contingente et transitoire, est néanmoins agréable et
belle. Car, « …Il n’y a pas de bonheur pour l’homme, sinon dans le
plaisir et le bien-être durant sa vie » (Qo 3, 12). En ce sens, loin
de s’engouffrer dans le cynisme, Qohélet invite plutôt à savourer les moments
de joie offerts importunément, à mettre bien à profit l’instant présent ‘‘carpe
diem’’ ; car il n’y a aucun moyen de s’assurer un avenir
certain. Cette joie inopinée, qui n'est ni liée aux conditions
extérieures, ni prévisible, s’oppose à l’appétit extravagant du pouvoir et de
l’avoir. Cette joie, c’est Dieu qui la donne. Ainsi, l’homme devra-t-il jouir
de la vie, non pas à l’épicurienne (manger et boire, car demain c’est la
mort !), mais comme un homme de Dieu ; puisqu’il dépend de lui pour
la vie et pour la joie (Qo 3, 13 ; 5, 19). Raison pour laquelle,
Qohelet exhorte les jeunes à la jouissance d’une vie ordonnée à la crainte de
Dieu et l’observance de ses commandements :
« Réjouis-toi, jeune homme, dans ta jeunesse, sois heureux aux jours de ton adolescence, suis les voies de ton cœur et la vision de tes yeux (…), éloigne de ton cœur le chagrin, écarte de ta chair la souffrance (…), et souviens-toi de ton Créateur aux jours de ton adolescence (…) » (Qo 11, 9—12, 1).
A l’heure actuelle, il n’est pas évident de pouvoir se passer de ses
appareils électroniques. Ce qui est tout à fait normal, étant donné qu’ils nous
simplifient et facilitent la vie. Cependant, reste à savoir comment faire bon
usage de ces technologies au quotidien. Car, bien qu’étant au service de
l’homme, ces outils peuvent nuire en cas d’usage abusif et immodéré : par
exemple, consulter de façon ininterrompue ses courriels, rester indéfiniment en
ligne sur des réseaux sociaux (WhatsApp, Facebook, Messenger, etc.) avec son
Android ou sa tablette, etc. Cela peut devenir une obsession et causer des maux
bien pires (perte de liberté, troubles psychiques, maladies, etc.). La
technologie qui a pour vocation d’être au service de l’homme, peut d’un moment
à l’autre se convertir en ‘‘Epée Damoclès’’.
C’est en adoptant de bonnes attitudes d’utilisation, en cultivant les
vertus morales (sobriété, modération, souplesse, etc.) que ces outils seront
toujours plus utiles que nuisibles, et contribueront efficacement au bonheur de
l’homme. D’où, écrit le pape François : « La techno-science, bien
orientée, non seulement peut produire les choses réellement précieuses pour
améliorer la qualité de vie des humains (…), mais encore est capable de
produire du beau et de projeter dans le domaine de la beauté l’être humain
immergé dans le monde matériel ».[9]
Aux jeunes, Qohélet lance cet appel : Ne laissez pas la technologie
nuire à votre bien-être, apprenez à en faire bon usage au jour le jour !
Que conclure ?
Abbé Dutrone
NGOUNYO
(Article publié dans la revue "Le gong"
du Grand séminaire Jean-Paul II, Lomé, 2017)
Bibliographie
Bible de Jérusalem, Cerf,
Paris, 2012.
Pape François, Lettre
encyclique Laudato si, édit. Saint Augustin Afrique, Lomé, 2015.
Harrington Wilfrid, Nouvelle
introduction à la Bible, Cerf, Paris, 1971.
Proulx Michel, A la
recherche du bonheur : une lecture du livre de Qohélet, éditions Novalis,
Montréal, 2015.
Lavoie Jean-Jacques, Qohélet
: une critique moderne de la Bible, éditions Médiaspaul, Montréal, 1995.
http://www.lexpress.fr/informations/le-discours-du-liechtenstein_595795.html
[2] Michel Proulx, A la recherche du bonheur : une lecture du livre de
Qohélet, édit. Novalis, Montréal, 2015, p. 10
[4] Jean-Jacques Lavoie, Qohélet : une critique moderne de la Bible, éditions
Médiaspaul, Montréal, 1995, p.105